dimanche 27 novembre 2011

Le supermarché

Me voilà enfin revenue chez moi.
Quelle honte. Je m'en souviendrai toute ma vie. La dernière heure est gravée dans ma mémoire à l'encre indélébile. Tatouée dans le fond de mon crâne. Il me reste une seule option : me recroquevillée en position foetale sous mes couvertures et attendre la fin du monde.

Ou attendre que quelque chose se passe. Genre le bolide de Back to the Future qui débarque chez moi, Michael J. Fox m'offrant un lift vers le passé.

Je reste plutôt debout, sans oser faire le moindre mouvement. Je fixe le miroir devant moi, qui me reflète un visage apeuré. Et j'ai peine à croire ce qui s'est passé.

J'allais tranquillement faire les courses en un beau dimanche après-midi. À l'appart, c'était la sécheresse saharienne : un vieille boîte de sardines traînait dans le fond de la dernière étagère du garde-manger. Je me souviens l'avoir cachée là par crainte que quelqu'un la découvre et m'accuse de mauvais goût. Surtout qu'elles sont à la sauce tomate. Mes préférées.

-Faudrait faire les courses, se lamentait  ma coloc, la veille. On dirait une cuisine fantôme tellement il n'y a rien!
-Je pensais y aller ce week-end justement, ai-je répondu. T'as qu'à me remettre ta liste, je m'en occupe.

Je regrette. Terriblement.

Le dimanche suivant, je me dirigeais vers mon supermarché local sur l'Avenue du Parc, près de Laurier (pour ne pas le nommer). J'avais avec moi mes sacs réutilisables, ma VISA et mon gloss. On est jamais trop prudent.

Arrivée sur place, j'ai commencé mon petit itinéraire habituel. Fruits et légumes, pains, fromage...
Et c'est alors que je l'ai aperçu.

Entre un brie en spécial et un chèvre aux herbes de Provence, il était là à choisir sa mozzarella di buffala préférée. Un dieu grec. Beau, grand et brun. Trop mignon. Il m'a regardé et m'a sourit. Seigneur, je sentais que mes jambes allaient me lâcher. Donnez-moi la force de me maintenir debout, par pitié. Je lui ai rendu son sourire. Il m'a souri à nouveau.

J'ai alors décidé de faire ma ''hard-to-get'' en poursuivant comme si de rien n'était vers les conserves (et en évitant les sardines, je ne voudrais surtout pas qu'on me juge...)

J'ai sorti discrètement mon gloss. J'essayais de m'en appliquer distraitement, l'air de rien, mais pas de chance, le tube s'est vidé sur mes lèvres.

La gueule en surbrillance, j'ai décidé de changer d'allée. Je me sentais plus en confiance vers les produits laitiers. Je faisais la fille concentrée sur son choix entre le lait de soya, le lait bio et le lait aux amandes (je déteste les trois). C'est alors que je le vis se diriger vers la caisse. Je me disais que j'avais suffisamment de trucs dans mon panier, et que je pouvais aussi bien payer immédiatement.

Je me suis placée à la caisse jouxtant la sienne. Il m'a fait un clin d'oeil. J'allais ouvrir la bouche pour entamer la conversation, lorsque je me suis heurtée à un truc devant moi.

Le truc en question était le caddy d'une dame âgée. Elle restait à environ un mètre de la caisse, trop occupée à regarder les tablettes de chocolat.
C'est à ce moment que tout a déboulé.

J'ai gentiment demandé à la dame de se déplacer. Elle ne comprenait pas. J'ai parlé plus fort. Elle ne comprenait toujours pas. J'ai passé ma main devant son visage pour capter son attention. Aucune réponse.
Impatiente, j'ai hurlé à m'en déchirer l'oesophage. Au même moment, mon panier est tombé. Mon yogourt nature s'est vidé sur le sol. Un garçon de 10 ans qui courait par là a glissé sur la flaque. Il est tombé la main sur le coin de mon panier. Il s'est ouvert le doigt ; y'avait du sang partout.
Un prépubère boutonneux s'est mis à m'engueuler. J'ai compris qu'il était employé et que je n'avais pas encore payé le yogourt. Il a ensuite vu le sang, il est devenu vert, et il a vomi à côté de la flaque de yogourt. Mon cell a glissé de ma poche et est tombé dans ce qui semblait être les restes du dîner du prépubère.

Le dieu grec avait assisté à toute la scène. Il m'a regardé, ahuri, et s'est exclamé, en furie :

-La dame devant toi, c'est ma grand-mère. Elle est sourde et à moitié aveugle. Mais qu'est-ce qui te prend de hurler sur elle, t'as aucun respect?

J'avais envie de pleurer. J'ai tout laissé où j'étais et je me suis mise à courir.

***

En me remémorant la catastrophe, devant mon miroir, je fais deux constatations :

je n'ai plus de sac réutilisable, ni de cell.