Je n'ai jamais voulu de chat. Je n'ai très franchement que
peu d'affection pour cet animal. Lui et moi avons toujours eu une relation compliquée.
J'avais lu dans une encyclopédie, très jeune, que les chats
sont les animaux les plus égoïstes et les plus indépendants. On y décrivait l’image
suivante pour illustrer cette réalité :
"Lorsqu’un chat frotte
son pelage contre votre jambe en vous faisant croire qu’il s’agit d’une marque
d'affection, il se comporte ainsi pour marquer son
territoire."
En clair, il vous fait savoir qu'il vous possède. Sympa, non?
Cette brève introduction pour en arriver au fait que j'ai un
chat. Ne vous réjouissez pas trop vite, c'est bien malgré moi.
L'hiver dernier (mon tout premier dans le quartier), un chat
inconnu s’est pointé un beau matin devant ma porte. D'accord, il était mignon. Oui, il faisait froid. Mais lui
et moi n'avions rien en commun, certainement pas l'intérieur de ma demeure. Malheureusement pour moi, il voulait visiblement entrer. Il
poussait sur mon pied avec sa petite tête de chat pour m'empêcher de franchir
la porte. Effronté vous dites? Je croyais rêver.
Le manque de caféine aux aurores accentuait mon agressivité.
Je n'ai fait ni une ni deux, et j'ai foutu un bon coup de pied aux fesses de ce
satané animal.
Il était un peu surpris sur le coup. Remarquez, je l'aurais
été aussi. Après un vol plané de plusieurs mètres, par-dessus le garde-fou, il
atterrit tout juste devant les roues du camion à déchets.
Et c'est ainsi que se termine l'histoire du pauvre chat qui
s'approchait trop près des jeunes filles amères envers la race féline.
Mais non, je pousse la fiction un peu. On se croirait dans
une fable de La Fontaine. Il est seulement tombé par-devant la petite marche. Et
je vous assure que mon pied a tout juste frôlé son arrière-train. Je ne
pourrais jamais faire preuve d'autant de cruauté envers un animal. Il ne
semblait pas blessé, juste un peu abasourdi –à quel point un chat peut-il être abasourdi?
Je l’ignore.
Quoi qu'il en soit, mon geste ne l'a jamais découragé de
revenir, semaine après semaine. Bien au contraire.
D’ailleurs, un soir que je revenais du travail (quelque temps après
la tournée du Bonhomme sept-heures), je suis tombée nez à museau avec la bête.
Pas devant chez moi, ça aurait été trop facile. Le matou s’était introduit à l’intérieur,
Dieu seul sait comment. Il n’avait pas même pris la peine de se cacher ; il
avait poussé l’arrogance à m’attendre sagement devant la porte, le regard fixé
sur mon être. Il était assis sur le parquet, le dos bien droit, comme pour
exposer sa fierté d’avoir réussi l’impensable. Je le haïssais doublement. Il ne
bougeait pas, il attendait mon premier mouvement. On se serait cru à une partie
d’échec. Je ne saurais dire combien de temps a duré ce moment, mais je vous jure
que pendant ces quelques minutes, la terre s’est arrêtée de tourner. Et j’exagère
à peine.
-Il est beau ce chat, on pourrait l'adopter! criait
ma coloc de la cuisine, qui fleurait bon le ragoût mijotant. ERREUR. Ma
coloc ne cuisine pas.
-Tu plaisantes.
-On pourrait lui installer une petite litière au sous-sol!
Ma coloc est géniale. Une fille brillante, jolie et drôle à
ses heures. Une perle. Toutefois, il lui arrive de perdre la raison.
-On pourrait l'appeler Billy! Dis-oui!
J'ai dit non. Et j'ai rajouté que j'étais allergique. Fin de
la discussion.
Elle n'a pas trop aimé, avec raison. J'ai fait preuve d'un
peu d'étroitesse d'esprit. Je ne voulais pas le laisser gagner! Je me sentais
étrangère chez moi, comme s’il avait conquis les lieux. En d’autres termes, il « ownait »
la place.
Je l’ai donc pris dans mes bras, et l’ai déposé (jeté)
dehors. Je savais pertinemment qu’il reviendrait. Si ce n’était pas ce soir-là,
ce serait un autre jour. C’était indubitable.
Évidemment qu’il est revenu. Je le croise au moins une fois
toutes les semaines. Parfois dans le jardin, parfois sous l’escalier, parfois
dans ma chambre…
Je n’ai AUCUNE idée comment il arrive à s’introduire chez
moi. En vertu des articles 348 et suivants du Code criminel,
il s’agit d’une introduction par effraction :
"348. (1) Quiconque, selon le cas :
a) s'introduit en un endroit par effraction avec l'intention d'y commettre un acte criminel;
(...)
est coupable:
d) soit d'un acte criminel passible de l'emprisonnement à perpétuité, si l'infraction est commise relativement à une maison d'habitation; "
Je consens que ce ne soit pas dans un dessein criminel, certes.
Mais les chats sont sournois. Avec eux, on ne sait jamais. Et de toute façon,
il y a une présomption qui joue en ma faveur[1].
J’en conclus ceci : l’adversaire est redoutable. C’est
un combat de longue haleine. Aucun effort n’est vain!
Ma coloc me trouve totalement ridicule.
***
L'autre jour, "Billy" est revenu. Et croyez-le ou
non, je l'ai laissé entrer, lui et son petit air niais. Je savais bien qu'il n'était
pas niais pour vrai, c'était une ruse : il est d'une intelligence toute
calculée.
Et pourtant... il m'a eue.
[1] Voir
à cet effet 348 (2) C.cr. :
« (2) Aux fins de poursuites engagées en vertu du
présent article, la preuve qu’un accusé :
a) s’est introduit dans un
endroit par effraction ou a tenté de le faire constitue, en l’absence de preuve
contraire, une preuve qu’il s’y est introduit par effraction ou a tenté de le
faire, selon le cas, avec l’intention d’y commettre un acte criminel ».
bien fait pour ce satané chat!
RépondreSupprimerWow ! Je dois souligner le vocabulaire riche et soutenu. «Qui fleurait bon le ragoût mijotant» on dirait un extrait du livre «Les Mots» de Jean-Paul Sartre.
RépondreSupprimerHeureusement que le Code criminel ne s'applique pas aux chats, sinon le mien serait coupable de plusieurs voies de fait armées (de ses griffes).
RépondreSupprimerA.B.S.O je ne sais pas qui vous êtes mais je suis follement amoureux de votre plume et de votre demi visage. Ce sourire en dit long. Il laisse présager un esprit vif et une tête bien faite, solidement ancrée dans un modernisme efficace où l’équilibre entre pragmatisme et délire se fond dans un ensemble parfait et intellectuellement apaisant.
RépondreSupprimerMiaow !
RépondreSupprimerTrès sympathique, un texte qui en outre permet d'approfondir la psychologie des principaux personnages, l'auteure, la coloc et surtout... le chat!
RépondreSupprimerBravo!
Mathias
Avec 348(1)a), la présomption s'écarte facilement. C'est difficile à prouver. Je prends le dossier : La Reine contre Le Chat.
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