lundi 3 octobre 2011

Le chat

Je n'ai jamais voulu de chat. Je n'ai très franchement que peu d'affection pour cet animal. Lui et moi avons toujours eu une relation compliquée.

J'avais lu dans une encyclopédie, très jeune, que les chats sont les animaux les plus égoïstes et les plus indépendants. On y décrivait l’image suivante pour illustrer cette réalité : 
"Lorsqu’un chat frotte son pelage contre votre jambe en vous faisant croire qu’il s’agit d’une marque d'affection, il se comporte ainsi pour marquer son territoire."

En clair, il vous fait savoir qu'il vous possède. Sympa, non?

Cette brève introduction pour en arriver au fait que j'ai un chat. Ne vous réjouissez pas trop vite, c'est bien malgré moi.

L'hiver dernier (mon tout premier dans le quartier), un chat inconnu s’est pointé un beau matin devant ma porte. D'accord, il était mignon. Oui, il faisait froid. Mais lui et moi n'avions rien en commun, certainement pas l'intérieur de ma demeure. Malheureusement pour moi, il voulait visiblement entrer. Il poussait sur mon pied avec sa petite tête de chat pour m'empêcher de franchir la porte. Effronté vous dites? Je croyais rêver. 

Le manque de caféine aux aurores accentuait mon agressivité. Je n'ai fait ni une ni deux, et j'ai foutu un bon coup de pied aux fesses de ce satané animal.

Il était un peu surpris sur le coup. Remarquez, je l'aurais été aussi. Après un vol plané de plusieurs mètres, par-dessus le garde-fou, il atterrit tout juste devant les roues du camion à déchets. 

Et c'est ainsi que se termine l'histoire du pauvre chat qui s'approchait trop près des jeunes filles amères envers la race féline.

Mais non, je pousse la fiction un peu. On se croirait dans une fable de La Fontaine. Il est seulement tombé par-devant la petite marche. Et je vous assure que mon pied a tout juste frôlé son arrière-train. Je ne pourrais jamais faire preuve d'autant de cruauté envers un animal. Il ne semblait pas blessé, juste un peu abasourdi –à quel point un chat peut-il être abasourdi? Je l’ignore.

Quoi qu'il en soit, mon geste ne l'a jamais découragé de revenir, semaine après semaine. Bien au contraire.

D’ailleurs, un soir que je revenais du travail (quelque temps après la tournée du Bonhomme sept-heures), je suis tombée nez à museau avec la bête. Pas devant chez moi, ça aurait été trop facile. Le matou s’était introduit à l’intérieur, Dieu seul sait comment. Il n’avait pas même pris la peine de se cacher ; il avait poussé l’arrogance à m’attendre sagement devant la porte, le regard fixé sur mon être. Il était assis sur le parquet, le dos bien droit, comme pour exposer sa fierté d’avoir réussi l’impensable. Je le haïssais doublement. Il ne bougeait pas, il attendait mon premier mouvement. On se serait cru à une partie d’échec. Je ne saurais dire combien de temps a duré ce moment, mais je vous jure que pendant ces quelques minutes, la terre s’est arrêtée de tourner. Et j’exagère à peine.

-Il est beau ce chat, on pourrait l'adopter! criait ma coloc de la cuisine, qui fleurait bon le ragoût mijotant. ERREUR. Ma coloc ne cuisine pas.

-Tu plaisantes.

-On pourrait lui installer une petite litière au sous-sol!

Ma coloc est géniale. Une fille brillante, jolie et drôle à ses heures. Une perle. Toutefois, il lui arrive de perdre la raison.

-On pourrait l'appeler Billy! Dis-oui!

J'ai dit non. Et j'ai rajouté que j'étais allergique. Fin de la discussion.
Elle n'a pas trop aimé, avec raison. J'ai fait preuve d'un peu d'étroitesse d'esprit. Je ne voulais pas le laisser gagner! Je me sentais étrangère chez moi, comme s’il avait conquis les lieux. En d’autres termes, il « ownait » la place. 

Je l’ai donc pris dans mes bras, et l’ai déposé (jeté) dehors. Je savais pertinemment qu’il reviendrait. Si ce n’était pas ce soir-là, ce serait un autre jour. C’était indubitable.


Évidemment qu’il est revenu. Je le croise au moins une fois toutes les semaines. Parfois dans le jardin, parfois sous l’escalier, parfois dans ma chambre…

Je n’ai AUCUNE idée comment il arrive à s’introduire chez moi. En vertu des articles 348 et suivants du Code criminel, il s’agit d’une introduction par effraction :

"348. (1) Quiconque, selon le cas :
a) s'introduit en un endroit par effraction avec l'intention d'y commettre un acte criminel;

(...)

est coupable:
d) soit d'un acte criminel passible de l'emprisonnement à perpétuité, si l'infraction est commise relativement à une maison d'habitation; "

Je consens que ce ne soit pas dans un dessein criminel, certes. Mais les chats sont sournois. Avec eux, on ne sait jamais. Et de toute façon, il y a une présomption qui joue en ma faveur[1]

J’en conclus ceci : l’adversaire est redoutable. C’est un combat de longue haleine. Aucun effort n’est vain!

Ma coloc me trouve totalement ridicule.

***

L'autre jour, "Billy" est revenu. Et croyez-le ou non, je l'ai laissé entrer, lui et son petit air niais. Je savais bien qu'il n'était pas niais pour vrai, c'était une ruse : il est d'une intelligence toute calculée.

Et pourtant... il m'a eue.





[1] Voir à cet effet 348 (2) C.cr. :
« (2) Aux fins de poursuites engagées en vertu du présent article, la preuve qu’un accusé :
a) s’est introduit dans un endroit par effraction ou a tenté de le faire constitue, en l’absence de preuve contraire, une preuve qu’il s’y est introduit par effraction ou a tenté de le faire, selon le cas, avec l’intention d’y commettre un acte criminel ».

7 commentaires:

  1. bien fait pour ce satané chat!

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  2. Wow ! Je dois souligner le vocabulaire riche et soutenu. «Qui fleurait bon le ragoût mijotant» on dirait un extrait du livre «Les Mots» de Jean-Paul Sartre.

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  3. Heureusement que le Code criminel ne s'applique pas aux chats, sinon le mien serait coupable de plusieurs voies de fait armées (de ses griffes).

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  4. A.B.S.O je ne sais pas qui vous êtes mais je suis follement amoureux de votre plume et de votre demi visage. Ce sourire en dit long. Il laisse présager un esprit vif et une tête bien faite, solidement ancrée dans un modernisme efficace où l’équilibre entre pragmatisme et délire se fond dans un ensemble parfait et intellectuellement apaisant.

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  5. Très sympathique, un texte qui en outre permet d'approfondir la psychologie des principaux personnages, l'auteure, la coloc et surtout... le chat!
    Bravo!
    Mathias

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  6. Avec 348(1)a), la présomption s'écarte facilement. C'est difficile à prouver. Je prends le dossier : La Reine contre Le Chat.

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